JANVIER 2019

Mardi 1 : Les calendriers ont été distribués lors du chapitre après l’échange de nos vœux du Nouvel An.  Quand on fait le tour de la salle et que l’on rencontre une si belle variété de personnes, on a l’impression qu’il y en a plus de sept !  Journée calme et dramatique, solennelle et détendue.

Mercredi 2 :  Les tuyaux géothermiques ont produit une autre petite fuite.  Tard dans la nuit, notre ami le Père Patrick Ngwenya, est arrivé du Zimbabwe pour une visite d’une semaine.  Patrick est le secrétaire de l’archevêque de Harare.

Jeudi 3 :  Soudain, nous étions chez les Sœurs pour le déjeuner, ce qui était fort sympathique.  Ces sorties sont aussi à peu près le seul moment de l’année où nous nous joignons à elles dans le chant choral des psaumes.  Il y avait de l’encens.  Ensuite, nous nous sommes déplacés dans leur propret couloir qui a des tuiles colorées à l’ancienne dans leur réfectoire.  Celui-ci est en surface alors que le nôtre se trouve dans notre sous-sol avec des fenêtres placées très haut.  Pendant que nous mangions et parlions, les rires n’étaient pas rares. Les sujets de conversation au coin de la salle où j’étais assis allaient de Liberace, la mort et la première d’être appelés à la vie religieuse : 13 ans pour la religieuse avec qui je parlais.

Vendredi 4 : Nous avons notre propre station-service avec diesel et essence régulière, cependant le fournisseur n’est pas passé de sorte que nous devons aller au village faire le plein.

Samedi 5 : Dans les bois loin derrière le monastère, le bois coupé s’entasse en piles impressionnantes, parfois très hautes.  Les sections de forêt jadis densément recouvertes qui ont fait l’objet d’une coupe sélective sont d’autant plus belles qu’elles ont précisément fait l’objet d’une coupe sélective.

Dimanche 6 : Il y avait des gens à la messe dominicale, mais l’assistance était peu nombreuse.  C’est comme si la vie recommençait à bouger après les vacances.

Lundi 7 : Les moines continuent de recevoir des cartes de Noël de la part de vieilles connaissances.  La grange de trois étages qui abrite les poulets est en cours de préparation pour accueillir la prochaine fournée. La chronique de la semaine dernière, avec sa mention de Liberace, a suscité des réactions inattendues.  Je suppose que, comme Elvis après lui, Liberace signifiait des choses très différentes pour différentes personnes. 

Mardi 8 : Dom Bede a célébré son anniversaire de naissance aujourd’hui avec un gâteau à quatre étages.  Le Frère Léo s’est rendu à Miramichi pour des tests.  Quand est venu le temps de partir, un homme plus âgé encore que Léo, et qui lui parlait pour la première fois, ne voulait tout simplement pas mettre fin à la conversation, nous empêchant ainsi de poursuivre notre route.  Il m’a confié : « Toute ma vie, j’ai adoré parler aux religieux : vous pouvez leur demander n’importe quoi, ils sont francs, ils vous diront ce qu’ils pensent. »

Mercredi 9 : Le Frère Stephan a pris un camion de location alors que nous attendons que l’assurance arrive pour celui qui a dû être mis hors de service sans que ce soit notre faute.  Il avait le choix entre un Dodge ou un Chevrolet, il a choisi Dodge.

Jeudi 10 : La neige crée un effet certain, surtout quand elle est aussi abondante qu’elle l’a été cette semaine.  Aujourd’hui, à Dieppe, le Frère Henry est allé voir un cardiologue pour un bilan de santé, et en sortant de l’Hôpital Georges-Dumont, nous avons vu qu’un accident était survenu ; voilà des gens qui espéraient vivre tranquillement, mais qui ont percuté des voies de sortie.  En dépit de vrais défis de santé, Henry est patient, ouvert d’esprit, intéressé par la façon dont les gens se portent.

Vendredi 11 : Le Frère Léo raconte ses rêves qui ne sont ni mauvais ni bons, seulement incompréhensibles ! Aujourd’hui avaient lieu les funérailles d’Éloi, un frère de notre défunt Père Adrien Bordage.  C’était à Acadieville, un peu à l’est d’ici.  Éloi avait, parmi d’autres dons, celui d’être un grand-père bienveillant avec toujours quelque histoire à raconter, des choses à faire, un jeu à jouer ; l’hommage écrit qui lu a été rendu énumérait les jeux auxquels il se prêtait avec les petits-enfants, même « kick the can » !  Je n’ai jamais vu de petits-enfants adultes aussi affligés et si évidemment reconnaissants.  Un impressionnant étranger est venu me parler après les funérailles et il m’a remercié pour les récentes traductions en français des chroniques qu’il ne manque jamais de lire.

Samedi 12 : Un renard a traversé le lac ce matin.  Le renard est un animal que j’aime regarder, mais comme c’est le cas lorsque des animaux traversent le lac l’hiver, il semblait quelque peu délabré.

Dimanche 13 : Juste avant l’adoration eucharistique après les vêpres, un brin de fumée de cierge brillait d’un vif éclat près du plafond à cause de la puissante lumière directement au-dessus de l’autel et dont l’ampoule provient d’Asie.  Au déjeuner du midi, nous avons écouté Gustav Leonhardt sur You Tube.  Il joue si bien, comme s’il remettait de l’ordre dans le monde.  Bede s’est bien tiré d’affaire avec son homélie ce matin.  Je me suis souvenu comment notre procureur général, quand il était ici, souriait en écoutant Bede prêcher ; un sourire révélateur, mais néanmoins mystérieux.

Lundi 14 : Le retour au temps ordinaire ces jours-ci signifie tout un changement dans les petites mélodies que nous chantons, et dans leurs paroles.  Il apporte un moment de fraîcheur, de paix.  Cela nous fait réfléchir sur le thème : « J’ai une chance ».  Aujourd’hui, le Père Roger a amené notre pauvre vieux Ford Lariat à Miramichi pour faire remplacer le rétroviseur extérieur.  Cependant, le garage avait commandé la mauvaise pièce de rechange.

Mardi 15 : J’espérais prendre une photo d’une congère— autrement dit un « banc de neige » — sculptée par les éléments, parallèlement à l’endroit où se trouvait autrefois le jardin, mais la nature m’a devancé ce qui m’empêche de photographier l’insolite.  En commentant la Règle de saint Benoît au Chapitre ce matin, le Père Innocent a lu la description des vigiles telles que célébrées dans l’Église primitive, par toute l’Église, selon les écrits d’Erigia.  L’attrait qu’ont les moines pour les vigiles semble donc avoir été généralisé.  Également au Chapitre, Innocent a dévoilé un nouveau comité, le comité de liturgie, composé de Bede, Innocent et Steve.

Mercredi 16 : Il est temps de retourner à Moncton.  La route était plus cahoteuse que d’habitude à cause des nombreux soulèvements de la chaussée dus au gel et aux changements de température.  Une scène imprévue : les gendarmes qu’on ne voit que rarement sur la route.  Ils avaient arrêté quelqu’un pour excès de vitesse juste à la bonne colline qui permet de filer à bonne vitesse !  À sa résidence, le Frère Henry recevait avait plaisir les confidences humoristiques du personnel tout en dégustant un soda au gingembre.

Jeudi 17 : La lecture de 1491 de Charles Mann est terminée.  C’est un livre qui, dans le bon sens du terme, peut donner à quelqu’un l’impression d’être une simple tache dans un vaste panorama. Notre nouveau livre lu au réfectoire, Cloister Walk, évoque l’ouverture et l’amour que l’on rencontre dans nos monastères américains.  Il semble que l’auteur ait surtout connu St. John’s à Collegeville.  Ce livre populaire a maintenant plus de vingt ans.

Vendredi 18 : C’était aujourd’hui le 92e anniversaire tant attendu du Frère Léo qu’il a célébré joyeusement, emportant avec lui comme cadeau une paire de chaussettes amusantes.  Beaucoup de personnes l’ont appelé pour le féliciter, le matin.  Le soir, avant complies, il lisait le journal Osservatore Romano, assis sur sa chaise dans le scriptorium, avec une seule lampe allumée.  Il aime beaucoup ce journal.

Samedi 19 : La lumière du couloir du sous-sol, du côté ouest, s’est éteinte, ce qui a donné une allure différente au couloir.  Celui-ci est simple, en effet, à l’exception de la curieuse affiche lumineuse de sortie au-dessus des têtes, mais c’est sympathique.  Steve dit que les grosses machines, garées il n’y a pas si longtemps, ont maintenant toutes quitté notre forêt.  Mais il reste le bois qui devra être transporté par camion.

Dimanche 20 : Au déjeuner, le Père Bede a choisi pour musique la retransmission par la BBC du concert du Nouvel An de l’Orchestre philharmonique de Vienne.  Cet orchestre n’a rien perdu de son éclat. Parmi les valses interprétées, il y avait L’Elfenreigen ou la Danse des elfes …du nouveau pour moi.  Cela m’a rappelé des moines de ma connaissance pour qui le sujet des elfes, leurs méfaits possibles dans nos granges, n’était pas un sujet de dérision !

Lundi 21 : Hier, la tempête de neige a choisi son moment pour débuter (la mi-journée), puis ce fut une véritable bordée ! Ce matin, le déneigement a permis à l’aumônier de se rendre chez les Sœurs par des voies dégagées.  D’autres régions ont eu moins de chance comme à Moncton où Bede et Stephan se sont rendus sur une chaussée glissante.

Mardi 22 : Le refoulement de la neige par le tracteur produisit un effet magique, à tel point que la statue de la Sainte Vierge devant l’hôtellerie a complètement disparu.  Plusieurs hypothèses ont été émises quant à l’endroit où elle aurait pu se trouver.  Prosaïquement, la fureur du vent l’avait culbutée de son socle.

Mercredi 23 : Plusieurs grands-parents sollicitent des prières pour leurs petits-enfants dont il est difficile d’imaginer les épreuves.  Ces grands-parents sont courageux à en juger par la façon avec laquelle ils gèrent les situations.

Jeudi 24 : De temps en temps une mystérieuse fuite d’eau vient remplir les espaces entre les tuiles du plancher du réfectoire.  Elle semble descendre d’étage en étage en dégoulinant le long d’un mur.  Sa source reste inexpliquée.  La pente raide qui conduit à l’entrée du monastère des Sœurs est plus facile d’accès cette année, en dépit de la neige, de la pluie, de la glace, et cetera.  En se rendant dire la messe chez les Sœurs il faut passer devant les rayons de la bibliothèque de l’hôtellerie.  Or des écrivains de la Nouvelle-Écosse séjournent occasionnellement à l’hôtellerie.  Ils trouvent leurs livres sur les rayons de la bibliothèque.  C’est réconfortant en quelque sorte de les voir.

Vendredi 25 : Le Frère Henry a été admis aujourd’hui à l’Hôpital Dr-Georges-L. Dumont pour se faire implanter un stimulateur cardiaque.  L’ambiance de l’étage où il se trouvait était à la fois calme et positive.  Dans l’entrée principale de l’édifice, on peut voir un beau tableau représentant feu le docteur Georges-L. Dumont : « Québécois d’origine, Acadien par choix. »

Samedi 26 : Le soleil se pointe de temps à autre et semble sourire à tout ce que nous faisons.  Éloignés des centres urbains trépidants, avec des conditions climatiques ralentissant les activités — ce qui donne une chance aux gens de se parler plus souvent tout en assurant des périodes de silence  —, tout cela semble servir de toile de fond propice à la sérénité.  On pourrait croire que les choses dans le monde sont moins mauvaises qu’on ne le croit …, mais peut-être le sont-elles après tout.

Dimanche 27 : Le Frère Stephan répétait cet après-midi dans la chapelle vide sur son orgue doté d’un dispositif électronique. Libéré de l’hôpital, et en forme, le Frère Henry a passé le gros du week-end au foyer de soins où il réside.